Comment dort un skipper ? L'interview du Dr Bertrand de la Giclais
Point sur le sommeil des skippers et questions aux Dr Bertrand de La Giclais (Médecin du sommeil et de la vigilance, Consultation des troubles du sommeil et exploration du sommeil et de la vigilance à Annecy, Attaché de consultation à l'hôpital d'Annecy, Attaché de recherche à l'hôpital Hôtel-Dieu de Paris) :
Nous, terriens, dormons d’un sommeil monophasique, en une seule fois, sept à huit heures d’affilée.
Le marin en solitaire va avoir un rythme de sommeil polyphasique, c’est-à-dire qu’il va répartir sur le nycthémère (période de 24 heures) plusieurs épisodes de sommeil courts. En effet, en course transocéanique par exemple, il ne peut ni s’arrêter, ni laisser son bateau naviguer seul trop longtemps, afin de garder toute sa vitesse et assurer sa sécurité (risque de chavirage).
Le problème du navigateur solitaire va être de dormir par quelques courts épisodes de sommeil, qui doivent fournir un sommeil aussi réparateur qu’un sommeil monophasique à terre.
Les expériences menées avec Yvan Bourgnon ont permis de mettre en évidence en mer les portes du sommeil et de réduire de 50 % son besoin en sommeil par 24H. Cela lui permet de rester lucide et de ne pas accumuler tout au long d'une course une dette de sommeil qui peut à tout moment devenir critique. Lors de son dernier chavirage, Yvan a même dans sa coque retournée, géré son sommeil pour rester lucide et en forme afin d’affronter sa fortune de mer jusqu'au bout.
Est-ce que la gestion du sommeil est une mécanique que l’on peut travailler à terre ?
Non, car c'est l'environnement (hostile) du marin qui est le principal moteur du sommeil polyphasique (en mode fractionné) qu'il doit adopter.
Qu’est ce qui fait qu’en mer, les navigateurs ont moins besoin de sommeil qu’à terre, alors qu’ils effectuent un effort physique permanent ?
Ils arrivent en fait à concentrer leur sommeil en sommeil réparateur au delà de 50 % alors que le sommeil de terrien n'a que 40 % de sommeil récupérateur, le reste est du sommeil léger de transition.
Quelles sont les pistes de recherche pour approfondir notre connaissance ?
Vaste question... une de ces pistes serait de trouver les portes spécifiques de chaque sommeil réparateur dont on a besoin : le sommeil lent profond et le sommeil paradoxal qui sont complémentaire dans la quête de l'équilibre psychique et physique de notre organisme.
Sur quel point les skippers peuvent ils progresser de manière générale ?
Sur la connaissance personnelle de leurs portes de sommeil et sur leur propre besoin en sommeil récupérateur. Mais aussi sur les techniques qui permettent de limiter leur passage en sommeil léger.
Quel conseil donneriez-vous à un débutant ?
De ne pas se mettre en grosse dette de sommeil et gérer son sommeil sur des périodes de 24h avec un plan minimum et un plan maximum.
Est ce que tout le monde est en mesure d'appréhender ses cycles et d'arriver à un niveau de performance proche des plus grands skippers ?
Oui, même les plus gros dormeurs de base.
Est-ce une science exacte ?
De plus en plus exacte, c'est la subjectivité que l'on a par rapport au sommeil qui fausse les impressions.
Y-a-t il différent courant de pensée ? Ou tout le monde est d'accord sur les techniques ?
Il existe un certain consensus notamment dans les débouchés qu'il y a dans le travail posté (ex: les 3X8).
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